En absence de tissu nécrosé, de débris visibles, de tissu dévitalisé ou d’infection dans le lit de la plaie, la pratique consistant à nettoyer systématiquement une plaie lors du changement de pansement est amplement diffusée mais peut en fait retarder la cicatrisation. Frotter ou nettoyer rigoureusement, à l’aide de compresses de gaze, le tissu de granulation dans le lit d’une plaie peut endommager les capillaires en voie de formation et gêner la fragile croissance du nouveau tissu. Le corps peut percevoir ceci comme une nouvelle lésion et réinitialiser la réponse inflammatoire, retardant ainsi le processus de cicatrisation. Il est donc recommandé de nettoyer les plaies systématiquement lors du changement de pansement uniquement dans les cas suivants :
- Signes visibles d’infection ;
-Suppuration (qui augmente la charge bactérienne de la plaie et la rend plus vulnérable à l’infection) ;
- Évidente contamination par des matières fécales (qui augmente le risque d’infection) ;
- Débris visibles (gravillons ou autres).
Température de la solution nettoyante :
L’activité cellulaire est optimisée avec une température stable de 37°C dans la plaie. En utilisant une solution froide, il faut jusqu’à 40 minutes pour que la plaie atteigne à nouveau la température optimale de cicatrisation. En outre, la réduction de la température du lit de la plaie provoque une réduction des niveaux d’oxygène et du nombre des leucocytes, éléments vitaux pour lutter contre l’infection. Par conséquent, en changeant fréquemment le pansement et en nettoyant la plaie avec une solution froide, la cicatrisation risque d’être retardée. Si la détersion est nécessaire, assurez-vous que la température de la solution utilisée ne refroidisse pas inutilement la plaie.
Solution physiologique ou eau du robinet ?
Traditionnellement pour la détersion, une solution physiologique stérile (à 0,9 %) est employée pour ses qualités isotoniques, c’est-à-dire qu’elle n’interrompt par le processus normal de cicatrisation. Cependant, une analyse systématique n’a observé aucune différence dans le taux d’infection entre les plaies aigues, chirurgicales ou chroniques nettoyées à l’eau du robinet et les plaies nettoyées avec une solution physiologique stérile ; les auteurs ont conclu que l’eau potable du robinet est une alternative sûre et efficace à la solution physiologique stérile pour le nettoyage d’une plaie.
Il faut cependant faire attention car des tampons prélevés en milieu hospitalier et mis en culture en laboratoire ont montré un nombre élevé de bactéries autour et à l’intérieur des lavabos. De ce fait, il est préférable dans ce cas d’utiliser des sachets stériles d’eau ou de solution physiologique. Si on décide tout de même d’utiliser l’eau du robinet pour nettoyer les plaies, il est conseillé de laisser l’eau s’écouler pendant quelques secondes afin d’éliminer toute impureté et bactérie.
Au domicile du patient, si la détersion d’une plaie ouverte est nécessaire, la meilleure méthode d’irrigation est la douche (qui peut également augmenter la sensation de bienêtre). Pour des plaies situées dans la région pelvienne (par exemple suite à un sinus pilonidal excisé ou à une épisiotomie), le patient est invité à se laver quotidiennement et après chaque défécation car la plaie peut facilement être contaminée par la matière fécale.
Pour les patients avec une immunité affaiblie, des plaies diabétiques, des ulcères du pied ou des plaies avec exposition de l’os ou du tendon, il est préférable d’utiliser des solutions stériles plutôt que l’eau du robinet afin de réduire les risques d’infection.
Détersion des plaies chirurgicales :
Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) préconise l’utilisation de solution physiologique stérile pour la détersion des plaies chirurgicales pendant les premières 48 heures qui suivent l’intervention. Une fois que le site de l’incision est cicatrisé et que la plaie n’est plus ouverte, la détersion ne devrait plus être nécessaire.
Afin de déterminer si la détersion de la plaie réduit les risques d’infection, trois groupes de patients ont été testé huit jours après un acte chirurgical. Dans ces différents groupes, les plaies avaient été 1) gardées complètement au sec, 2) nettoyées uniquement à l’eau du robinet et 3) nettoyées avec de l’eau du robinet et un gel douche. Aucune infection n’a été constatée dans aucun des trois groupes et les auteurs ont conclu que la plupart des plaies chirurgicales n’ont pas besoin de détersion régulière. Ces résultats, corroborés par une autre étude, ont porté à la recommandation de retirer le pansement 12 heures après l’intervention et de se doucher normalement.
Cependant, dans certaines occasions, comme dans le cas de saignement excessif visible sur le pansement, il sera nécessaire de nettoyer les plaies chirurgicales. Cela peut s’avérer nécessaire non seulement pour éviter au patient et à ses proches de s’inquiéter, mais également pour mieux observer les lignes de suture et déterminer la cause du saignement.
Antimicrobiens topiques :
Les antimicrobiens topiques sont communément utilisés pour réduire le nombre de bactéries dans les cas suivants :
- plaies infectées ;
- plaies qui pourraient abriter un biofilm (colonie de différentes souches de bactéries entourée d’une couche protectrice visqueuse et résistante aux antibiotiques systémiques);
- plaies avec excès d’exsudat, tissu nécrosé ou débris présents dans le lit de la plaie.
Les produits antimicrobiens peuvent inhiber ou éradiquer les microorganismes et avoir une activité à large spectre contre les principales bactéries et champignons présents dans les plaies.
« Antimicrobien » est un terme générique qui englobe un ensemble de produits.
Désinfectants : utilisés pour éradiquer ou réduire le nombre de microbes sur des objets tels que les chariots à pansement et les instruments chirurgicaux
Antiseptiques : utilisés pour éradiquer ou réduire le nombre de bactéries dans une plaie ou sur la peau saine (par exemple, pour la détersion de la zone à opérer avant une intervention chirurgicale)
Antibiotiques : substances présentes dans la nature ou produites en laboratoire, capables de tuer les bactéries de façon sélective ; ils sont administrés de façon systémique mais peuvent également être appliqués de façon topique, bien que cette méthode ne soit pas recommandée car elle augmente le risque de résistance microbienne
Quand utiliser les antiseptiques ?
Jusqu’à récemment, les antiseptiques n’étaient pas conseillés pour un usage régulier dans le soin des plaies. Cependant, ils deviennent populaires et sont de plus en plus présents dans les kits pour le soin des plaies pour traiter les plaies présentant des signes évidents de colonisation critique, de biofilm et d’exsudat abondant, de tissu nécrosé ou de débris. Cette hausse de popularité est due, en partie, à la tendance actuelle de réduire les prescriptions d’antibiotiques systémiques à cause des risques de résistance aux médicaments.
Les plaies chroniques ont tendance à développer une charge bactérienne élevée car elles restent ouvertes longtemps. Si la charge bactérienne n’est pas réduite ou gérée de façon efficace, les bactéries continueront à se reproduire rapidement. Si elles atteignent un stade critique, la plaie peut s’infecter localement ou développer un biofilm.
L’usage de solutions antiseptiques pour la détersion – en particulier en présence de plaies colonisées de façon critique – est préconisé dans les cas suivants :
- Lorsqu’une infection localisée s’est déjà développée ;
- Chez les patients avec un passé d’infections récurrentes ;
- Lorsque les antibiotiques systémiques doivent être prescrits pour arrêter une infection qui se propage, par exemple en cas de cellulite (infection).
Conseils sur la façon d’utiliser les solutions antiseptiques pour la détersion des plaies :
- Il faut envisager l’usage d’une solution antiseptique topique pour la détersion des plaies présentant des signes et des symptômes de colonisation critique ou d’infection localisée, et des plaies chez les patients avec un passé d’infections récurrentes
- Il faut envisager l’usage de solutions antiseptiques topiques comme adjuvant aux antibiotiques systémiques chez les patients qui montrent des signes d’infection propagée
- Ne pas utiliser de solutions antiseptiques topiques avec les patients chez qui la plaie ne montre aucun des signes de colonisation critique ou d’infection
- Ne pas utiliser plus d’un produit antimicrobien ou antiseptique topique à la fois
- Une solution antiseptique topique devrait être utilisée pendant 5 jours mais pas plus de 14 jours au maximum. Après cinq jours d’utilisation, on devrait évaluer à nouveau la plaie pour trouver des signes d’amélioration, par exemple une réduction de la suppuration ou de l’odeur, ce qui indiquerait une diminution de la charge bactérienne. Une fois que la plaie commence à aller mieux, on devrait continuer à appliquer la solution antiseptique jusqu’à 14 jours et ensuite interrompre les applications. Si après 14 jours la plaie a empiré ou montre des signes de propagation de l’infection, il faut envisager l’usage d’antibiotiques systémiques
- Une fois que la plaie va mieux, il faut interrompre la détersion avec solution antiseptique
Choisir la bonne solution antiseptique :
Une solution antiseptique employée pour nettoyer les plaies est polyhéxanide et bétaïne (PHMB). Le PHMB s’est démontré moins toxique et provoque moins de dommages aux cellules saines que la solution de chlorhéxidine et povidone iodée ; il s’est également démontré efficace pour la réduction de la charge bactérienne dans les plaies.
Une solution antiseptique alternative utilisée habituellement de nos jours pour la détersion des plaies est le chlorhydrate d’octénidine qui a été introduit il y a plus de 20 ans comme décolonisateur. Bien que cette solution aqueuse soit généralement prescrite pré-opératoire dans l’éradication du Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM), ses propriétés sont à large spectre. Il s’est montré efficace dans le débridement des suppurations car il maintient un environnement humide, facilitant par conséquent l’autolyse, ce qui perturbe les biofilms et les bactéries présents dans le lit de la plaie. Le chlorhydrate d’octénidine n’est cependant pas efficace contre les virus et les spores.
Une solution de 0,01 à 0,2 % de PHMB est préconisée dans le traitement d’une colonisation critique ou d’une infection locale de la plaie, et le PHMB à 0,04 % est recommandé pour des plaies fortement colonisées et cliniquement infectées (le temps de contact préconisé pour que la solution fasse effet est de 15 minutes). De façon similaire, une solution de 100g de chlorhydrate d’octénidine contient 0,1g d’octénidine et le fabricant recommande un temps de contact minimum d’1 minute.
Ces deux antiseptiques sont disponibles sous forme de solution pour l’irrigation ou de gel, et peuvent être appliqués directement du flacon sur la plaie humidifiée. En alternative, on peut les appliquer au moyen d’une compresse de gaze imbibée ; cependant, il est nécessaire de le faire au moins une fois par jour et la compresse de gaze doit rester au contact de la plaie pendant au moins 15 minutes si on utilise le PHMB, ce qui pourrait ne pas être possible dans une structure clinique très affairée. Si l’utilisation d’une compresse de gaze imbibée représente un problème, il pourrait être préférable d’appliquer un gel antiseptique sous un pansement secondaire à chaque changement de pansement.
Gestion des biofilms :
Il est 10 fois plus probable qu’un biofilm se forme dans une plaie chronique que dans une plaie aigue. Les plaies chroniques avec des charges bactériennes élevées et des biofilms peuvent devenir difficiles à soigner.
Les signes de la présence d’un biofilm sont très subtils et souvent invisibles à l’œil nu. Bien qu’il n’existe à ce jour aucun outil diagnostique disponible pour la détection des biofilms, leur présence devrait être suspectée dans les plaies qui ne répondent pas comme elles le devraient.
Les signes qui suggèrent la présence d’un biofilm sont les suivants :
- retard ou arrêt de la guérison malgré une évaluation et une gestion appropriées de la plaie ;
- suppurations persistantes qui reviennent rapidement après le débridement.
Les professionnels de santé devraient être vigilants dans la gestion des plaies présentant au moins une de ces caractéristiques. Si on soupçonne la présente d’un biofilm, l’application d’une solution antiseptique peut-être appropriée. Un débridement fréquent associé à l’usage d’une solution antiseptique pour la détersion s’est démontré une stratégie efficace pour les plaies présentant un biofilm.
Conclusion :
La décision de nettoyer ou non une plaie dépend du type et de la condition de cette plaie ainsi que de la condition du lit de la plaie. Si une plaie nécessite une détersion uniquement pour que le professionnel de santé puisse mieux observer le lit de la plaie ou retirer les débris, l’eau potable du robinet est la solution la mieux appropriée. Cependant, si le professionnel de santé soupçonne la présence d’un biofilm ou si la plaie semble présenter une charge bactérienne élevée, l’application opportune d’une solution antiseptique pour usage topique pendant une période limitée peut empêcher à la plaie de développer une infection.
Source : Nursing Times; When is wound cleansing necessary and what solution should be used?; 20 August 2018.