Le personnel spécialisé dans le soin des plaies sait bien que les conditions nutritionnels du patient peuvent avoir des conséquences profondes sur la guérison des plaies. Malheureusement, la recherche ne nous a fourni que très peu de réponses précises à la question : quelles sont les interventions nutritionnelles exactes les plus efficaces. L’évaluation de la nutrition, le diagnostic, l’intervention, le monitorage et l’évaluation sont monnaie courante pour les patients en hôpital ou en centre de soins de longue durée (SLD). Malheureusement, la plupart des patients externes des ambulatoires pour le soin des plaies ne disposent pas de protocoles pour l’évaluation du statut nutritionnel et la mise en place d’interventions opportunes pour la nutrition. Cela peut représenter une cause de préoccupation dans le cas de patients qui fréquentent aussi bien un ambulatoire qu’un établissement de SDL. Les cliniciens spécialistes des plaies peuvent ne pas être familiers avec les critères utilisés pour déterminer si le statut nutritionnel est compromis et peuvent être incertains quant aux interventions les plus utiles s’il n’existe aucune communication avec le staff du centre de SDL. De plus, de nombreuses cliniques spécialisées dans le soin des plaies n’ont pas accès aux services d’un diététicien diplômé dont l’expertise est nécessaire pour évaluer et traiter les patients atteints de plaies chroniques. Chaque patient qui se présente dans une telle clinique aura des besoins nutritionnels uniques et le jugement clinique est donc crucial dans le cas des recommandations nutritionnelles aux patients atteints de plaies chroniques − en particulier pour les personnes âgées. Une évaluation nutritionnelle complète peut mettre en évidence certains besoins et un monitorage régulier ainsi qu’une évaluation régulière du poids du patient et de son alimentation peuvent aider à déterminer s’il est nécessaire d’apporter des changements dans le plan nutritionnel thérapeutique afin de favoriser la guérison de la plaie. Cet article traite de la façon d’évaluer le statut nutritionnel, d’analyser les besoins nutritionnels afin de favoriser la cicatrisation et fournit des informations pratiques afin de maximiser le statut nutritionnel chez les personnes âgées qui vivent avec des plaies chroniques.
Evaluer le statut nutritionnel
Améliorer le statut nutritionnel d’un patient commence par l’identification des problèmes sous-jacents tels que la malnutrition. Les escarres sont fréquemment liées à la malnutrition. Cependant, les protéines hépatiques sériques ne sont plus la « référence absolue » pour l’évaluation nutritionnelle. Au contraire, de faibles niveaux d’albumine et de préalbumine sériques indiquent une inflammation sous-jacente liée à une pathologie aiguë ou chronique. Le diagnostic de malnutrition doit être fait à l’aide d’une série de critères qui incluent l’apport énergétique (calorique), la perte pondérale, la perte de masse musculaire, la perte de gras sous-cutané, l’accumulation localisée ou généralisée de fluides à même de masquer une perte pondérale et un statut fonctionnel réduit mesurable par la force de préhension de la main.
Les diététiciens diplômés des établissement de SLD et des hôpitaux utilisent généralement la courbe pondérale du patient et la prise des repas afin d’identifier une statut nutritionnel compromis. Ces informations peuvent être difficiles à obtenir dans un ambulatoire mais peuvent toutefois servir de base pour identifier des problèmes d’alimentation. Les patients devraient être pesés à chaque visite et la courbe pondérale devrait être archivée dans le dossier médical. Des pertes de poids significatives (définies comme > 5 % du poids total en 30 jours ou 10 % en 180 jours) et des pertes de poids lentes dans le temps peuvent représenter un indicateur aussi bien de changement dans l’alimentation que de problèmes médicaux sous-jacents, voire des deux. Il est également important de s’informer sur les apports de nourriture et de liquides du patient en posant de simples questions sur ce qu’il mange. Les recommandations journalières sont d’un minimum de 140-170 g de sources de protéines, 2-3 portions de laitages, 475 ml de fruits, au moins 6 portions de produits céréaliers, et 600 ml de légumes.
Il est important de comprendre que l’alimentation du patient peut être sous-optimale pour de nombreuses raisons. Chez les personnes âgées, la difficulté à conduire, à faire ses courses ou à cuisiner peut jouer un rôle majeur dans la qualité de l’alimentation. Évaluer le poids d’un patient dans le temps et recueillir les informations sur ses habitudes alimentaires peut fournir des indices quant à la compromission du statut nutritionnel. La connaissance des habitudes alimentaires d’un patient et les barrières à un régime nutritionnel peuvent aider les spécialistes en soins des plaies à développer des plans thérapeutiques appropriés.
Besoins nutritionnels pour la cicatrisation
Énergie, protéines et liquides
Le processus de cicatrisation résulte souvent en un état hypermétabolique, ce qui signifie qu’il faut davantage d’énergie que celle nécessaire aux activités quotidiennes.3 Il existe différents moyens d’estimer les besoins caloriques, mais les recommandations pour la pratique clinique du conseil américain des escarres (NPUAP) sont de 30-35 calories par kg par jour pour les personnes sous pression avec une escarre. Les exigences caloriques devraient être personnalisées et peuvent varier selon les conditions de santé du patient, son aptitude à déambuler et son âge. Un patient présentant une escarre ou une plaie chronique doit manger suffisamment de protéines pour maintenir un bilan azoté positif. Lorsque l’apport en protéines n’est pas suffisant, le corps peut consommer de la masse maigre pour aider à atteindre ses besoins en calories. Il est crucial d’empêcher ce processus car la perte de masse maigre empêche la cicatrisation.3 La recherche sur les besoins en protéines chez les patients souffrant de plaies est limitée, mais les recommandations du NPUAP sont de 1,25-1,5 g de protéines par kg par jour.2 Afin d’atteindre ces valeurs, certains patients auront besoin d’une quantité majeure d’aliments riches en protéines que celle recommandée. Les personnes atteintes de maladies rénales chroniques auront peut-être besoin de moins de protéines afin de prévenir le déclin de la fonction rénale. L’apport en liquides est particulièrement importante chez les personnes âgées qui pourraient ne pas ressentir la sensation de soif et par conséquent ne pas boire suffisamment. Les diététiciens disposent de différentes méthodes pour estimer le besoin en liquide, mais 30 ml de liquide par kg et par jour constitue une estimation simple et rapide. Un apport majeur en liquide peut être nécessaire si la plaie présente un fort écoulement ou si le patient utilise un matelas à air fluidisé. Un apport mineur peut être recommandé pour les personnes présentant une insuffisance cardiaque ou rénale.
Vitamines et minéraux
Auparavant, les compléments alimentaires tels que la vitamine C et le zinc (nutriments retenus importants dans le processus de cicatrisation) étaient systématiquement prescrits pour favoriser la cicatrisation. Les protocoles de certains établissements recommandent encore ces nutriments en quantités supérieures aux apports nutritionnels de référence. Les recommandations du NPUAP suggèrent que les compléments en vitamines et/ou minéraux devraient être proposés aux patients avec une escarre uniquement lorsque le régime alimentaire est pauvre ou lorsque une carence est confirmée ou suspectée. Si un patient prend des compléments multivitaminés, l’ajout de zinc pourrait constituer un excès de minéraux. La plupart des experts en nutrition concordent sur le fait que suivre les recommandations nutritionnelles en mangeant des aliments variés et riches en nutriments est généralement la meilleure stratégie pour satisfaire les besoins nutritionnels, avec l’usage de compléments alimentaires uniquement si cela s’avère nécessaire.
Stratégies pour favoriser la cicatrisation
Étant donné que les besoins en calories et en protéines sont élevés chez les patients souffrant de plaies chronique, il est souvent logique de leur conseiller des repas et des en-cas riches en calories et en protéines comme par exemple la viande, les œufs, le lait, le fromage, le yogourt, les légumineux, les noix et les graines (ou le beurre d’arachides). Ces recommandations devraient prendre en compte le contexte culturel du patient, ses préférences alimentaires, sont style de vie et ses limitations économiques. Les personnes suivant des régimes thérapeutiques restrictifs bénéficieront probablement d’un régime personnalisé et d’une interruption des restrictions, surtout si ces changements permettent une augmentation de l’apport nutritionnel et la prévention de perte pondérale non désirée. Si un patient se fatigue facilement en cuisinant et préfère un en-cas rapide, ou s’il a peu d’appétit aux heures des repas, des compléments nutritionnels oraux (CNO) sont une source satisfaisante de calories et de protéines. La recherche soutien l’emploi de CNO si nécessaire pour favoriser la cicatrisation dans le cas d’apports insuffisants. Différents types de compléments sont disponibles (boissons lactées, jus, barres et flans). Trouver la forme de complément que le patient consommera volontiers est la clé du succès de l’intervention nutritionnelle.
Thérapie nutritionnelle ciblée
L’arginine et la glutamine sont deux acides aminés considérés essentiels sous certaines conditions, c’est-à-dire qu’ils peuvent être nécessaires pendant les périodes de stress, par exemple pendant la cicatrisation d’une plaie. On estime que l' acide bêta-hydroxy bêta-méthylbutyrate (HMB), un métabolite de l’acide aminé leucine, favorise la génération tissulaire et aide au maintien de la masse musculaire. Les CNO contenant de l’arginine, de la glutamine et ou de l’HMB sont disponibles en complément d’autres CNO pour la génération tissulaire et la cicatrisation. La recherche sur ces produits est encore en cours et aucune recommandation basée sur des données probantes n’est disponible. Cependant, ils sont fréquemment utilisés dans le traitement des escarres et des plaies chroniques avec un bon taux de succès.
Conditions qui modifient les recommandations nutritionnelles
Obésité
Les patients obèses (ceux avec un IMC > 30) et les patients atteints d’obésité morbide (IMC > 40) présentant des plaies représentent un défi pour les cliniciens. Les diététiciens utilisent la formule de Mifflin St. Jeor pour estimer le taux métabolique au repos des patients obèses en considérant le poids effectif du patient, même s’il est nettement supérieur à leur poids idéal en fonction de leur taille. Cette formule aboutit généralement à des estimations caloriques différentes par rapport à la formule recommandée par le NPUAP. L’évaluation des besoins en protéines et en liquides est compliquée chez les patients obèses ; certains cliniciens utilisent le poids effectif du patient et d’autres un poids ajusté. La recherche n’est pas claire en ce qui concerne la méthode la mieux adaptée. Ce qui est clair, c’est qu’en ajoutant des protéines au régime alimentaire, on ajoutera également des calories, ce qui contribuera à une prise de poids non désirée chez un patient déjà obèse. Si la plaie du patient est en voie de guérison, le poids est stable et aucun signe ni symptôme de déshydratation n’est visible, ses besoins en protéines, calories et liquides sont très probablement satisfaits. Bien que cela puisse sembler paradoxal, des baisses drastiques de calories ne sont généralement pas recommandées chez les patients obèses présentant des plaies. Réduire l’apport calorique pour favoriser la perte de poids pourrait compromettre la cicatrisation en réduisant la masse maigre et/ou en aboutissant à un régime pauvre en nutriments. Pour cette raison, dans la plupart des cas, la cicatrisation devrait être prioritaire sur la perte de poids.
Diabète
Le contrôle du taux de sucre dans le sang est important chez tous les patients atteints de diabète, mais en particulier ceux présentant des plaies. Une glycémie élevée peut conduire à un mauvais fonctionnement des globules blancs et favoriser l’infection d’une plaie diabétique. Cependant, chez les personnes âgées, l’objectif du taux de glycémie peut être relativisé en fonction de l’espérance de vie et d’éventuelles comorbidités. Les choix alimentaires, y compris les horaires des repas et des en-cas et la quantité de glucides qu’ils contiennent, peuvent avoir un impact sur le contrôle de la glycémie, et tous les glucides, si consommés à l’excès, peuvent modifier le taux de glycémie. C’est pourquoi le contrôle des portions de tout aliment à base de glucides est important. Préférer du pain complet et des céréales complètes plutôt que du pain blanc apportera davantage de fibres, de vitamines et de minéraux. Il faudrait informer les patients sur les choix appropriés de portions de glucides et équilibrer l’alimentation avec des médicaments par voie orale et de l’insuline afin d’aider à optimiser le contrôle glycémique. Il faudrait informer les patients atteints de diabète sur la relation existante entre une glycémie élevée et la cicatrisation et les encourager à faire des choix sains, bien que certains patients refuseront de suivre les recommandations nutritionnelles. Les professionnels de santé qui travaillent avec des personnes âgées connaissent et respectent le fait que, pour de nombreuses personnes âgées, la qualité de vie est prioritaire sur le contrôle de la glycémie. Plutôt que de proposer un régime restrictif, un aspect important du contrôle de la glycémie chez de nombreux patients âgés avec une espérance de vie limitée, est d’adapter les horaires et/ou les doses de médicaments pour les faire correspondre aux prise des repas.
Alimentation par sonde et cicatrisation
Les patients qui mangent peu et/ou qui perdent du poids sans le vouloir pourraient être candidats pour l’alimentation par sonde si cela correspond au souhait du patient. Aucune étude ne soutient les résultats favorables d’un apport par voie entérale dans le cas d’escarres. Après que le professionnel de santé ait illustré les risques et les avantages de la sonde, c’est le patient ou les personnes responsables qui prennent la décision finale. Si les patients alimentés par sonde présentent de nouvelles plaies, il peut s’avérer nécessaire d’ajuster l’alimentation afin de satisfaire les besoins protéiques et caloriques élevés. Cela peut se faire généralement en augmentant le volume ou la durée de l’alimentation actuelle. Des formules spéciales, riches en protéines ou conçues pour améliorer la fonction immunitaire, peuvent favoriser la cicatrisation. Les médecins devraient consulter le diététicien diplômés afin de sélectionner la formule d’alimentation par sonde la mieux adaptée et déterminer le volume total, la vitesse d’administration et l’apport d’eau supplémentaire pour satisfaire les besoins du patient. L’alimentation par sonde devrait être contrôlée de façon périodique afin de garantir une correcte administration et les dosages appropriés en protéines, calories et liquides.
Source : Today's Wound Clinic; Nutrition & Wound Healing in the Older Adult: Considerations for Wound Clinics ; December 09, 2013 ; Volume 7 Issue 9 - November/December 2013 ; Liz Friedrich, MPH, RD, CSG, LDN & Nancy Collins, PhD, RD, LD/N, FAPWCA