Une plaie est une interruption de l’intégrité de la peau et il est inévitable que des micro-organismes se développent dans cette plaie. Cette colonisation est courante dans les plaies chroniques qui restent ouvertes de façon prolongée et peuvent par conséquent abriter une importante charge bactérienne. Les professionnels de santé sont invités à contrôler minutieusement la plaie à chaque changement de pansement et à revoir le traitement toute les deux semaines afin d’établir son efficacité.
En général, les plaies colonisées guérissent sans problèmes, mais ce n’est pas toujours le cas. Cela dépend du nombre de bactéries, de leur virulence et de leur prolifération. Alors que les bactéries dans la plaie se multiplient, la phase de réponse inflammatoire normale est prolongée car des enzymes nocifs, des radicaux libres d’oxygène et des cellules inflammatoires sont relâchés ; cela fini par provoquer une rupture des tissus dans la plaie et causer sa détérioration. Jusqu’à récemment, ce stade était connu sous le nom de colonisation critique (moins de 105 unités de bactéries formant colonies (UFC)/ml). Mais cette définition ne tenait pas compte des types et de la virulence des micro-organismes présents dans la plaie.
Aujourd’hui, lorsqu’on parle d’infection d’une plaie, les recommandations préconisent l’utilisation du terme « microbien » au lieu de « bactérien », car il inclut les autres micro-organismes, tels que les champignons. Les infections des plaies sont également catégorisées en phases au sein d’un continuum. (Voir tableau N. 1)
Tableau N. 1 Phases du continuum de l’infection des plaies |
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Phase |
Définition |
Signes et symptômes |
Actions requises |
Contamination |
Présence de micro-organismes sans multiplication ni réaction de la part de l’hôte ; un système immunitaire normal les enrayera et les détruira |
Aucun signe visible dans la plaie |
Simple observation |
Colonisation |
Présence de micro-organismes capables de se multiplier, mais en moindre mesure ; aucune réaction de la part de l’hôte et aucun impact sur la cicatrisation |
Aucun signe visible dans la plaie |
Simple observation |
Infection locale (autrefois colonisation critique) |
Présence de micro-organismes qui migrent plus en profondeur dans les tissus lésés et commencent à se reproduire rapidement ; réaction de la part de l’hôte. L’infection est limitée à la seule région de la plaie et des biofilms peuvent être présents. Elle se manifestera souvent par des signes invisibles qui se développent en signes visibles (en particulier dans les plaies chroniques). |
Signes imperceptibles (peu visibles) dans la plaie : Signes visibles (classiques) dans la plaie : |
Nécessité d’intervenir. Envisager l’utilisation de produits antimicrobiens à usage topique comme traitement de première intention |
Infection diffuse |
Présence de micro-organismes qui infiltrent la plaie et les tissus environnants ; peut concerner les tissus profonds, les muscles, les fascias, les organes et les cavités corporelles. |
Signes et symptômes dans la plaie et systémiques : |
Nécessité d’administrer des antibiotiques systémiques |
Infection systémique |
Micro-organismes qui se répandent à tout l’organisme via le système vasculaire et/ou lymphatique. Le corps tout entier est concerné. |
Signes et symptômes systémiques : |
Nécessité d’administrer des antibiotiques systémiques |
Sources : International Wound Infection Institute (2016) ; Swanson et al (2015a) ; Siddiqui et Bernstein (2010) ; World Union of Wound Healing Societies (2008) ; Enoch et Harding (2003) ; Sibbald et al. (2003) |
Plaies aiguës
Les infections des plaies aiguës sont généralement causées par un seul organisme, contrairement à celles des plaies chroniques où les agents pathogènes peuvent êtres multiples. Les plaies aiguës présentant des signes d’infection diffuse ou systémique devraient être traitées avec des antibiotiques systémiques.
Chez les patients sains avec plaies aiguës ou chirurgicales, il est relativement simple de reconnaître une infection diffuse ou systémique car les signes et symptômes décrits dans le tableau N. 1 seront visibles. Un prélèvement sera nécessaire uniquement si les signes d’infection systémique sont présents, car le diagnostic d’infection de la plaie se base aussi bien sur l’évaluation clinique de la plaie que sur celle du patient. Un prélèvement dans la plaie servira uniquement à identifier le niveau de charge bactérienne et les sensibilités et/ou la résistance aux antibiotiques.
Les antibiotiques systémiques sont recommandés si on soupçonne l’infection d’une plaie aiguë :
- chez des patients immunodéprimés ;
- chez des patients avec ulcère du pied diabétique ;
- chez des patients avec des plaies où l’os est exposé.
Ceci est dû au fait que les signes d’infection peuvent être absents et tout retard dans le traitement pourrait avoir des conséquences catastrophiques, comme par exemple l’amputation. Chez ces familles de patients, la prise d’antibiotiques systémiques associés à un antimicrobien local est considérée la solution la mieux adaptée.
Plaies chroniques
Diagnostiquer une infection dans une plaie chronique est moins facile que dans une plaie aiguë − les signes peuvent être moins évidents et le prélèvement de routine n’est pas conseillé ni même utile car la plaie présente probablement un « cocktail » de micro-organismes.
Cependant, le diagnostic est simple en présence de signes évidents de diffusion de l’infection ou lorsque on soupçonne une infection systémique − par exemple, dans les cas de cellulite diffuse, de sepsis grave ou de fasciite nécrosante. Dans ces cas, le traitement requiert l’administration d’antibiotiques systémiques associée à un soin approprié de la plaie (détersion, débridement et application de produits antimicrobiens à usage topique).
Biofilms
Un biofilm est « une communauté dynamique de bactéries et de champignons vivant dans une matrice protectrice auto sécrétée composée de sucres et de protéines ». Il est impossible de voir un biofilm dans une plaie et, jusqu’à récemment, leur existence dans les plaies faisait l’objet d’un débat.
Certains auteurs ont suggéré qu’un biofilm serait présent dans jusqu’à 60 % des plaies chroniques et pourrait être responsable des retards de guérison. Cependant, d’autres ont suggéré que les plaies contenant un biofilm pouvaient guérir normalement et ne développaient pas d’infection. D’autres recherches sur l’identification des biofilms dans les plaies est nécessaire ; le cadre N. 1 liste les indicateurs suggérant la présence de biofilm dans une plaie.
Cadre N. 1 Indicateurs suggérant la présence de biofilm dans la plaie
- La plaie ne répond pas au traitement par antibiotiques systémiques
- Retard de cicatrisation récurrent après traitement par antimicrobiens à usage topique
- Formation récurrente de fibrine malgré le débridement
- Augmentation de l’exsudat ou de l’humidité
- Apparence luisante et gluante du lit de la plaie − peut ne pas être visible
- Évidence d’une légère inflammation, légère rougeur sur les bords de la plaies
- Tissu de granulation de mauvaise qualité − rouge foncé, saigne facilement
- Signes très subtiles d’infection − odeur, détérioration des conditions de la plaies
Source : International Wound Infection Institute (2016)
Réduction de la charge bactérienne dans l’infection locale
Les plaies avec infection locale ont tendance à présenter de larges plaques de fibrine dans le lit de la plaie, ce qui augmente le nombre des bactéries. La fibrine se reforme même après le débridement et le tissu de granulation peut avoir une couleur rouge foncé inhabituelle. Un tissu de la plaie qui saigne facilement, une mauvaise odeur ou un retard de cicatrisation sont aussi indicateurs d’une charge bactérienne élevée.
Si on soupçonne un nombre croissant de bactéries ou la présence de biofilms dans une plaie avec infection locale, le traitement de première intention devrait être l’application sur la plaie de produits antimicrobiens à usage topique. Cela empêchera le retard de cicatrisation et/ou l’aggravation de l’infection. Si on soupçonne la présence d’un biofilm, les antibiotiques systémiques ne sont pas conseillés car le biofilm pourrait développer une résistance. Les antibiotiques systémiques ont peu de chance de faire effet car ils ne pourront probablement pas pénétrer et compromettre le biofilm. Le traitement devrait se concentrer sur la destruction du biofilm à travers un débridement régulier et continu ainsi que par l’emploi de pansements antimicrobiens à usage topique.
Produits antimicrobiens pour le soin des plaies
Jusqu’à très récemment, une gamme très limitée de produit antimicrobiens était disponible pour le traitement des infections des plaies et la réduction de la charge bactérienne. L’un d’entre eux était l’iode − notamment l’Inadine, qui fut introduit dans les années 80 et contient 10 % de povidone iodée avec une équivalence de 1 % de iodine disponible. Aujourd’hui il existe sur le marché de nombreux autres produits antimicrobiens pour le soin des plaies, parmi lesquels l’argent, le miel et le polyhexaméthylène biguanide (PHMB).
L’efficacité de l’iode pour le soin des plaies a fait l’objet d’un débat car il existe des préoccupations au sujet de sa toxicité et du retard dans le développement du tissu de granulation. Cependant, de nombreuses études − dont un examen systématique − ont conclu que les produits à base d’iode sont d’efficaces agents antiseptiques, n’ont aucun effet négatif associé et ne sont pas moins efficaces que tout autre produit antiseptique pour le traitement des plaies.
Le Tableau N. 2 fournit une analyse générale des quatre produits antimicrobiens pour les plaies les plus courants, leur mode d’action, leurs avantages et inconvénients. Tous les produits antimicrobiens pour le soin des plaies devraient être utilisés pendant deux semaines pour commencer, puis la situation de nouveau examinée.
Tableau N. 2 Analyse générale de quatre produits antimicrobiens courants |
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Produit |
Mode d’action |
Quand l’utiliser |
Avantages |
Inconvénients |
Remarques |
Tous les produits antimicrobiens pour le soin des plaies devraient être utilisés pendant deux semaines pour commencer, puis la situation de nouveau examinée. |
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Iode |
- Relâche lentement l’iode lorsqu’il entre en contact avec l’exsudat de la plaie |
Peut être utilisé en association avec des antibiotiques systémiques ou seul lorsque on soupçonne une charge bactérienne élevée, y compris dans les suspicions d’infection SARM |
Traitement antimicrobien bien établi |
Des risques de sensibilité et d’allergies ont été suggérés mais pas confirmés |
- Utiliser avec précaution chez les patients atteints de maladies thyroïdiennes, de problèmes rénaux ou ayant reçu une thérapie par l’iode radioactif et chez les femmes enceintes |
Exemples de marques |
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Inadine (PVD-I) |
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- Uniquement pour de petites plaies superficielles |
Coût unitaire relativement contenu* |
Désactivé par le fluide de la plaie, ne convient donc pas aux plaies profondes ou étendues avec exsudat abondant |
- La couleur du pansement s’éclaircit lorsque l’iode est relâché |
Iodoflex pâte (cadexomère d’iode) |
Iode 0,9 % en pâte |
Pour éliminer la fibrine des plaies chroniques humides |
Convient aux plaies cavitaires et étendues |
- Peut être difficile à appliquer |
Durée maximum de 3 mois pour un seul traitement* |
Iodosorb poudre ou onguent (cadexomère d’iode) |
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Ne pas utiliser sur les plaies sèches ou nécrosées |
Peut être appliqué dans les cavités difficiles d’accès |
- Peut être difficile à appliquer |
Durée maximum de 3 mois pour un seul traitement* |
Argent |
- Les ions d’argent interagissent avec la membrane cellulaire bactérienne, s’unissent à l’ADN et interfèrent avec la reproduction des cellules bactériennes |
Peut être utilisé en association avec des antibiotiques systémiques ou seul si on soupçonne une charge bactérienne élevée, y compris dans les suspicions d’infection SARM |
Une vaste gamme de pansements imprégnés d’argent est désormais disponible |
Peut laisser un résidu visible mais temporaire autour de la plaie |
Ne pas utiliser chez la patients avec une sensibilité connue à l’argent ni aux patients devant recevoir une IRM |
Exemples de marques |
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Acticoat, Acticoat 7, Acticoat Flex |
résille imprégnée d’un enduit nanocristallin d'argent
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Peut nécessiter d’humidification avant usage, selon la quantité d’exsudat |
Convient à toutes les plaies chroniques avec une charge bactérienne élevée ou si l’infection a été confirmée |
- Coût unitaire relativement élevé |
Contrôler le temps d’application qui peut varier d’un produit à l’autre et est spécifié dans le nom du produit |
Gamme Allevyn Ag |
Contient de la sulfadiazine argentique |
À utiliser quand un pansement en mousse est indiqué |
Convient à toutes les plaies chroniques avec une charge bactérienne élevée ou si l’infection a été confirmée |
- Coût unitaire relativement élevé |
Types adhésif et non adhésif (bords en silicone), différentes formes et niveaux d’absorption. |
Gamme Aquacel Ag |
Contient de la sulfadiazine argentique |
À utiliser pour des plaies avec exsudat abondant et une charge bactérienne élevée ou si l’infection a été confirmée |
- Convient en particulier pour les plaies cavitaires |
- Coût unitaire relativement élevé |
Ne pas utiliser pendant la période précédent l’accouchement ou pendant l’allaitement, chez les enfants prématurés ou les nourrissons pendant les premiers mois de vie |
Miel |
Élimine les bactéries grâce à ses actions anti-inflammatoires, antibactériennes et antioxydantes dues à son acidité, à l’émission lente de peroxyde d’hydrogène et à ses effets osmotiques |
Peut être utilisé en association avec des antibiotiques systémiques ou seul si on soupçonne une charge bactérienne élevée, y compris dans les suspicions d’infection SARM |
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- Ne pas utiliser chez les patients allergiques au venin d’abeille |
Exemples de marques |
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Gel L-Mesitran soft |
Large spectre d’activité |
À utiliser sur toutes les plaies avec une charge bactérienne élevée ou si l’infection a été confirmée ; ne convient pas aux plaies très humides |
Les produits ont des propriétés débridantes et de contrôle de l’odeur ; convient aux plaies cavitaires (tubes) |
Peut provoquer des picotements lors de l’application ; la quantité d’exsudat peut augmenter initialement |
Si bien toléré par le patient, peut être utilisé pour toute la durée du processus de cicatrisation |
Gamme de pansements antibactériens Medihoney |
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À utiliser sur toutes les plaies chroniques et aiguës, y compris avec charge bactérienne élevée et si l’infection a été confirmée ; ne convient aux plaies très humides |
Pour les plaies infectées, les plaies fibrineuse/nécrotiques et les plaies malodorantes |
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- Miel à usage médical |
PHMB |
Large spectre d’action contre les bactéries à Gram positif et Gram négatif, les champignons et les biofilms |
Peu toxique, peut être utilisé sur de longues périodes ; également disponible sous forme de solution détergente (Prontosan) |
Peut être utilisé sur toutes les plaies avec exsudat de léger à modéré, aussi bien profondes que superficielles |
Coût unitaire relativement élevé* |
- Ne pas utiliser chez les patients sensibles à la PHMB |
Exemples de marques |
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Suprasorb X+PHMB |
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Peut être utilisé sur toutes les plaies avec exsudat de léger à modéré, toutes les plaies chroniques et aiguës, les plaies avec charge bactérienne élevée et si l’infection a été confirmée |
Peut être coupé et plié pour s’adapter à la forme/dimension de la plaie ; disponible en cordon |
Coût unitaire relativement élevé* |
- Ne convient pas comme traitement principal dans les infections systémiques confirmées, mais peut être utilisé en association avec des antibiotiques systémiques |
Gamme de pansements mousse Kendall AMD |
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Versions pansement adhésif ou non adhésif disponibles |
Convient aux plaies avec exsudat de modéré à abondant ; plusieurs tailles et formes disponibles |
Coût unitaire relativement élevé* |
- Ne convient pas comme traitement principal dans les infections systémiques confirmées, mais peut être utilisé en association avec des antibiotiques systémiques |
ADN = Acide Déoxyribonucléique ; SARM = Staphylocoque Aureus résistant à la Méthicilline ; IRM = Imagerie par Résonance Magnétique ; PVP-I = Povidone Iodée ; PHMB = polyhexaméthylène biguanide. |
Solutions antiseptiques
Les solutions antiseptiques sont des désinfectants cutanés avec activité antibactérienne, antivirale et antifongique à large spectre. Elles sont utilisées pour nettoyer ou irriguer les plaies infectées. Les préoccupations passées relatives à leurs effets toxiques en ont limité l’utilisation ; cependant, ces effets toxiques étaient le résultat de tests en laboratoires sur du tissu animal et leur toxicité sur le tissu humain sont encore à démontrer. Cependant, les solutions antiseptiques ne devraient pas être utilisées de façon répétée et les cliniciens devraient s’assurer que les bénéfices thérapeutiques attendus sont supérieurs à l’impact négatif potentiel sur la guérison. Un exemple d’utilisation appropriée serait sur une plaie sacrale profonde chez un patient avec incontinence fécale afin d’éviter l’infection.
Le tableau N. 3 fournit une vue d’ensemble des solutions antiseptiques à usage topique les plus courantes.
Tableau N. 3 Solutions antiseptiques communes |
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Type |
Mode d’action |
Commentaires |
Polyhexaméthylène Biguanide (PHMB) |
Empêche au biofilm de se fixer si appliqué à la surface de la plaie |
- Disponible en gel ou en solution pour irrigation |
Povidone iodée (PVP-I) |
Réduit les biofilms matures et stoppe le développement de nouveaux biofilms |
- Non adapté pour des usages à long terme (utiliser deux semaines et réexaminer) |
Octénidine dichlorhydrate |
Empêche la formation de nouveaux biofilms pendant au moins trois heures et la croissance bactérienne jusqu’à 72 heures |
- Disponible en gel ou en solution pour irrigation |
Acide hypochloreux (HOCL) et sodium hypochlorite (NaOCL) |
- Pénètre rapidement dans le biofilm |
- Utilisé parfois pour éliminer la fibrine |
Source : International Wound Infection Institute (2016) ; Swanson et al. (2015a) ; Siddiqui et Bernstein (2010) ; World Union of Wound Healing Societies (2008) ; Enoch et Harding (2003) ; Sibbald et al. (2003) |
Source : Nursing Times ; Diagnosing and managing infection in acute and chronic wounds ; 25 June, 2018